La situation de confinement, l’enfermement à domicile ne créé pas à proprement parlé de troubles mentaux mais vient favoriser, chez des personnes vulnérables, l’éclosion de troubles, voire de pathologies qui, dans un autre cadre ne se seraient certainement pas exprimées.
Le risque de développement de troubles et pathologies en milieu carcéral, et donc en situation de détention, est exacerbé par la prise de drogues fréquente dans ces milieux. De la même manière, nos addictions normalisées du quotidien peuvent elles aussi renforcer le développement de ces troubles.
Anxiété voire angoisse, dépression progressive, surinvestissement des écrans au quotidien, hypersensibilité, irritabilité dans les relations aux proches en situation de huit clos, accentuation du sentiment de solitude, hypervigilance,…sont autant d’exemples qui a petites doses constituent les caractéristiques spécifiques normales de chaque individu évoluant dans un contexte tout aussi spécifique, mais peuvent se voir accentuées par la situation de confinement.
Les troubles psychiatriques dont l’expression se trouve culturelement muselée par l’investissement voire le surinvestissement de la sphère professionnelle, peuvent également s’aggraver dans ce contexte d’enfermement jusqu’à mener à des épisodes délirants. Ce contexte est également propice au déclenchement de « psychoses réactionnelles », c’est à dire que des individus a priori « normaux » présentent le même tableau clinique que des patients souffrant de maladies psychiques graves, situation clairement aggravée dans le environnements dépourvus de stimuli. Ici, les symptômes psychotiques cessent lorsque l’évènement, ici le confinement, prend fin.
Néanmoins, la levée du confinement ne veut pas dire retour ad-integrum : quid alors des stigmates pour l’individu qui aura fait cette expérience de folie passagère durant le confinement ? Quid également des stigmates pour ses proches ?
Dans les milieux fermés, on apaise l’angoisse suscitée par la situation de détention grâce à l’administration d’anxiolytiques, anti-psychotiques et anti-dépresseurs. Dans nos milieux « ouverts », l’individu pris de vertiges dans ce contexte d’abolition des contraintes exogènes professionnelles va paradoxalement se précipiter vers des solutions qui à son insu seront autant de ciment aux murs de sa prison dorée :
La situation d’isolement me pousse à
surinvestir les réseaux sociaux, ce qui
m’enferme encore davantage dans mon cercle
familial devenu une somme de peurs et
d’égoïsmes partagés.
- L’angoisse suscitée par l’extérieur me pousse à la surconsommation d’actualités, ce qui exacerbe l’angoisse.
Je me fais chier alors je me perfuse de Netflix
jusqu’à tard le soir, ce qui bousille à petit feu
mes rythmes circadiens et accroît le lendemain
le sentiment de fatigue qui alimentera à mon
insu un état dépressogène pouvant
progressivement devenir chronique.
- La peur et le caractère soudain, inédit de la situation, me pousse à vouloir rire, dédramatiser, intellectualiser, alors je réceptionne, commente et transfère à la chaîne les données qui finalement tournent en boucle chez tout le monde.
Je vais m’ouvrir une bonne bouteille, et puis
deux, peut-être acheter légalement sur
internet de quoi me faire un joint ou cinq afin
de supporter le temps qui ne passe pas.
Ces modes de consommation, ces petites doses normalisées du quotidien vont progressivement se faire grandes et exacerber, en bons catalyseurs, les troubles psychopathologiques chez les individus.
Lorsque de nombreux spécialistes évoquent déjà une situation de « trauma collectif », ne devrions-nous pas nous préparer ici à l’après, le post-confinement, la reprise générale de l’activité et de l’injonction sociale à faire et à faire dans l’urgence ? Serait-il possible que ce ne soit pas tant la situation de confinement qui génère un trauma mais bel et bien demain la reprise du mouvement car la nature même du trauma se situe bien ici dans la violation, l’effraction d’un évènement extérieur dans notre intégrité, dans notre intimité subjective.
Que restera-t-il en effet des ressources et de la résilience de celui ou celle qui se sera laissée glisser au fil des semaines, peut-être des mois, dans son no man’s land intérieur? Le traumatisme ne viendra-t-il pas plutôt du réveil qui sonnera plus tôt, de la vitesse de la voiture d’à côté, pressée de retourner au travail ? De la réintégration peut-être angoissante et difficile de l’individu auprès de ses collègues, de son responsable ? De l’envie de ne plus rentrer chez soi, d’en être sevré, dégouté ?
Qu’en sera-t-il, donc, du traumatisme généré par la reprise du travail, physiquement et mentalement et de la confrontation à l’autre qui nous semblait pourtant si familier avant ?
Là serait peut-être le traumatisme auquel il s’agirait de se préparer à faire face pour en atténuer le choc ?